Quand j’ai lu la lettre de Fabienne « à la Fabie de 16 ans », j’ai eu une envie irrépressible d’écrire moi aussi à mon « moi antérieur », celui d’il y a tout juste 20 ans… À votre tour, laissez-vous tenter par cette réjouissante expérience et lancez-vous après moi !
Salut Maritchou,
C’est fait. Tu as 16 ans. Tu as enfin terminé cette horrible année de seconde. Quel choc, ce lycée… Toi, tu débarques de ta cambrousse, une vraie bouseuse chez les snobs. Tu as sacrifié tes amis sur l’autel du grec ancien, qui t’a valu une dérogation pour aller étudier dans une autre ville que celle de cette fichue « carte scolaire » (c’est malin). Mais je t’explique : le temps et l’espace sont des concepts hyper flous, et tes potes seront toujours dans un coin de ta vie (ne me regarde pas comme ça : non, tu ne vas pas passer les vingt prochaines années à fumer des bangs)…
Profite bien des pauses déj’, étendue sur l’herbe devant le gymnase, à refaire le monde avec tes nouvelles inséparables : tu n’auras pas forcément l’occasion de rire comme ça tous les jours (bon, j’aurais peut-être pas dû te dire ça, mais c’est fait). Ah oui, c’est vrai, pardon : on vient de t’enlever les dents de sagesse et ça te fait super mal de rire. Excuse. Il faut dire que c’est dur de se retenir quand on regarde ta face de hamster, les frangins te l’ont bien fait remarquer.
Tu te souviens de C. (chut chut pas de nom), qui t’avait lancé avec mépris que tu ne tiendrais pas une semaine avant de te mettre à la cigarette, comme tout le monde ? Eh bien sache que tu es toujours aussi obstinée : le tabac n’est pas passé par toi ! Et toc. Toi, tu te trouves moche (arrête, ça te rend vraiment moche), et eux ils te croient faible (bon sang, s’ils pouvaient lire dans ta tête, ils arrêteraient de faire les marioles). OK, petite rebelle des champs, t’es pas influençable et ça te rend super fière. Je comprends ça et je le respecte, mais si une fois de temps en temps tu pouvais essayer de te dire des trucs sympas à toi-même, ça t’aiderait vachement, t’as pas idée. Tu verras, dans quelques années, on te sortira que tu es une fille « atypique », et tu penseras que c’est le plus beau compliment qu’on t’ait jamais fait…
Bon, c’est vrai que tu fumes pas, mais tu commences à picoler un peu pour compenser. C’est pas bien. Mais la saveur de cette « Pêcheresse » fraîche sirotée au « VH » le vendredi après les cours restera à jamais une réminiscence exquise… Savoure-les, ces bières : elles continueront à avoir pour toi ce petit goût de Paradis…
En attendant, je ne sais pas trop comment te dire ça, alors j’y vais cash : les dix années à venir vont être une longue descente dans les profondeurs de ton enfer intérieur. Je sais, ça a l’air super flippant, mais je sais aussi que j’aurai beau te supplier de voir le verre à moitié plein et de ne pas aller traîner avec cette meute de militaires, tu n’en feras qu’à ta tête… Allez, ne t’inquiète pas trop quand même : tu es forte, je te l’ai dit. Tu vas vouloir te fiancer et tu vas le faire, en bonne mule que tu es. Mais non, sèche tes larmes, ce ne sera pas la fin du monde : tu sauras t’arrêter à temps. Et puis je peux au moins te promettre une chose : le bon, tu finiras par le trouver. Pas tout de suite, mais il arrive, sois patiente – en prime, tu découvriras que contrairement à ce que t’a toujours seriné maman, le vert te va plutôt bien… Mais je ne t’en dis pas plus.
Ton sacro-saint bac en poche (oui, tu vas encore te rendre malade à réviser comme une tarée alors que tu les connais par cœur, tes textes de latin), tu vas faire des pieds et des mains pour intégrer cette prestigieuse hypokhâgne bordelaise, la voie que tu penses royale pour les « lettreux » de ton espèce. Quelle erreur, ma grande. Bah, ce n’est pas ta faute, tu ne peux pas savoir que cette année d’élitisme destructeur et d’entreprise de démolition de ta – déjà faible – confiance en toi te flinguera presque… Tu n’es pas prête à quitter les parents, les frérots, la maison, et pour bien enfoncer le clou, tu vas connaître pour la première fois de ta vie le cinglant « échec scolaire »… Dur…
Alors pourquoi diable te faire encore plus de mal en arrêtant la musique ?? Je te préviens : tu vas le regretter. Je sais : la vie est longue et tu vas te dire que tu as tout le temps de t’y remettre plus tard, bla bla bla. Je vais te faire une confidence : tu ne t’y es toujours pas remise ! Sorry…
Enfin bref, cette année de bourrage de mou stérile sera un tel choc qu’elle te laissera myope ; tu crois encore y avoir échappé à l’heure qu’il est, mais tu les auras tes binocles, comme papa. Petite Taupe au fond du trou (oui, tu vas bien sûr penser immédiatement que JAMAIS tu n’arriveras à te mettre ces espèces de lentilles collantes dans les yeux, pourtant si, tu y arriveras. Alors abrège.)
Et une taupe « expatriée », qui plus est. Ben oui, pour toi « monter à Paris », ce sera un peu comme aller t’exiler à l’autre bout du monde. « Ah, ah, ah, ces cons de Parigots ». Désolée, tu vas bientôt en faire partie. Je sais, c’est moche. Tu me crois si je te dis que tu finiras par t’y habituer et que tu aimeras même un peu ça ? Mais si, un tout petit peu. Alors ne te force pas non plus à détester cette période – dix ans, c’est long. Si je te dis que c’est là-bas que tu vas produire tes plus beaux cadavres exquis, tu fais moins d’hyperventilation, là ? Tu vas aussi y faire des rencontres qui changeront ta vie. De manière ra-di-cale. Et puis je te dis pas la cure de concerts que tu vas te taper… Fais juste gaffe, s’il te plaît : ne te mets pas trop près des enceintes quand tu iras écouter les Nine Black Alps. Ouais, c’est pas très rock comme conseil, mais je t’aurai prévenue…
Sois tranquille, tu continueras à voir du pays : Montreuil (comment ça, Montreuil c’est Paris, c’est pareil… Pas. Du. Tout.), puis une certaine Ville Rose (mais sale, en fait), pour atterrir finalement, je te le donne en mille : à… Non, je te le dis pas, il vaut mieux que tu découvres ça par toi-même. Bon, je t’avertis, c’est paumé ! Mais non, t’as pas raté ta vie !! Tu vois comme tu dramatises direct… Non, tu vas te plaire ici. Je t’entends comme si j’y étais encore : non, je ne dis pas ça pour te rassurer ! Allez, aie confiance (en toi) pour une fois.
Un petit avertissement quand même, histoire que tu ne tombes pas de trop haut le moment venu : la maternité va venir annihiler à tout jamais – OK, là c’est peut-être moi qui exagère un peu – la douce tranquillité de ton existence, et tu vas en baver ! Les restos, les cinés, les grasses mat’, tu oublies – je te dis pas pour combien de temps, sinon papa et maman ne seront jamais grands-parents. Mais si tu ne dois retenir qu’une seule chose de ma petite bafouille, c’est celle-ci : tout ça en vaut bigrement la peine ! D’accord, tu verseras encore bien des litrons d’eau salée, tu piqueras des crises dantesques, tu devras te faire à l’idée que oui, c’est bien toi qui sens le vomi, tu ressentiras dans ta chair ce que c’est que d’être Dori (cherche pas, tu sauras qui c’est en 2003) – le « brouillard de l’allaitement », ils appellent ça ; t’as pas besoin de te mettre aux pétards, t’auras l’impression d’en fumer de la bonne tous les jours…
Bien sûr, fidèle à toi-même (mais non, je te critique pas, c’est comme ça qu’on t’aime) tu vas t’échiner à avancer à contre-courant et ce sera dur, très dur même ; pourtant, laisse-moi te dire que tu vas faire un chemin de dingue. Un truc de ouf ! Ah ouais, on dit pas ça en 95. Mais après tu vas le dire, beaucoup. Beaucoup trop.
Tu sais, ma Marie, je pourrais encore te dire bien des choses. Mais je sens que je commence à t’agacer et que tu as juste envie de vivre ta vie comme tu l’entends. Alors fais-le. Mais fais-le à fond ! Tu finiras pas découvrir qui tu es vraiment. Parole de toi-de-presque-40 ans (mais pas encore, hein, t’es pas si longue à la détente). Quand tu auras compris que tu n’as pas besoin de t’appeler Proust pour avoir le droit d’écrire – parce que si le monde était rempli de Proust, ce serait finalement assez relou de devoir lire à longueur de journées des phrases encore plus interminables que les tiennes – tu feras un boulot génial, et le top du top : tu le feras comme tu en auras envie.
Je te fais plein de bisous, tu vas en avoir besoin. Mais au final, tu ne seras pas déçue du voyage… Enjoy (plus) et arrête de te dire que tout ira mieux dans 10 ans (d’abord il faudra attendre un peu plus que ça en fait, et puis t’es pas censée te dire ça à ton âge !).
Marie (la vieille – mais jeune et libre dans sa tête, comme Diego)
P.S. : Je sais que quoi que je dise, tu vas l’acheter ce T-shirt noir avec ce gros code-barres argenté qui pique les yeux… Tant pis pour toi et pour ta photo de classe. C’est ta vie, après tout.
P.S.2 : « Résiste, suis ton cœur qui insiste ! ». Tu vois, Michel t’accompagne toujours 😉
P.S.3 : Par contre, Ace of Base, c’est fini. Faut pas déconner.
5 commentaires
Bonjour Marie,
Elle est superbe ta lettre, tu t’es vraiment lâchée 😉
Bises
Séverine
Merci Séverine, ça me fait vraiment plaisir que tu l’aies lue ! Oui, je me suis beaucoup amusée à écrire cette lettre. C’est un exercice très libératoire… Tu nous écriras la tienne ? 😉
Hi, hi, peut-être, oui… 😉
Comment ça AceOfBase c’est fini??
(même pas pour faire le ménage en mode revival?-avoue!)
Non non, je te jure : ça c’est vraiment fini. Après, je ne dis pas que je ne me livre pas de temps à autre à certaines écoutes peu avouables 😉